Bienvenue Boris
Quand une 2e césarienne fait remonter les fantômes du passé
J’ai rencontré tes parents à 38SA. Ils fuyaient un gyneco à Delta qui leur imposait une césarienne pour macrosomie. Ils cherchaient un suivi plus à l’écoute de leur projet de naissance, le plus physio possible. Suivis in extremis par un autre gynéco à Érasme, ils décidèrent de le quitter également quand il leur proposa de te déclencher à 40 + 5 pour un taux d’acide trop élevé. Méfiance envers les professionnels de santé, depuis cette première césarienne, il y a une dizaine d’années en Russie, à 37SA pour raison inexpliquée (retard de croissance inavéré) et ce déclenchement médicalisé interminable pour ton grand frère en Suisse.
À 40 + 3, ta maman attrape une angine, fièvre, mal de gorge, elle n’est carrément pas en état d’accoucher, raison de plus pour ne pas forcer ta sortie. La Sage-Femme ne peut plus lui faire de monitoring sans prescription, et on lui refuse aussi à l’hôpital car elle n’est pas suivie là-bas. Les jours passent. Ta maman contrôle sa tension et ses urines. Elle est confiante et prête à attendre que tu te mettes en route spontanément, quand TU le décides. Je contacte l’hôpital d’Ottignies, le plus proche, pour leur communiquer leur arrivée imminente et pour veiller à ce qu’ils soient bien reçus, malgré ces conditions particulières. Samedi matin 7h, le soleil se lève, les oiseaux chantent, tes parents sont en route, à pied vers l’hôpital, maman est à 41 + 3. Les contractions ont démarré vers 2h du matin, elle a rompu sa poche à 3h. Pas de doute tu es en route!
Je les rejoins en forme à l’entrée des urgences. Bonne nouvelle, maman est ouverte de 4 cm, par contre le liquide est méconial. Maman s’active, debout, dans l’eau…10h, 6 cm, ça avance mais doucement. Tu regardes les étoiles (en postérieur) , ça explique pourquoi ça tire tant dans le bas de son dos. Papa et moi on se relaye pour presser ses hanches, appuyer fort sur son sacrum. 11h comme ta maman n’est pas très grande, on voudrait estimer ton poids à l’échographie. Ton tour de taille, d’ abdomen et la taille de ton fémur nous indiquent que tu seras plus grand que tes frères et sœurs. Maman, rêverait d’un break, elle opte pour une péri bien dosée qui lui permet de se reposer tout en continuant de se mobiliser. On continue de te capter avec un petit stan posé sur ta tête, mais les contractions ralentissent, on propose alors quelques millilitres d’ocytocine pour les relancer.
15 h Maman sent de fortes pressions dans le bas du ventre, l’équipe préfère s’assurer que la cicatrice de la précédente césarienne est bien résistante. Au passage, le touché vaginal indique que son col n’a pas bougé depuis 10h et que tu es toujours bien haut. On ne peut pas augmenter l’ocytocine à cause de sa cicatrice et on estime qu’au bout de 6h de stagnation de travail, c’est par la fenêtre que tu devras sortir. Le mot « césarienne » est prononcé, il résonne comme un électrochoc. Tes parents voudraient gagner du temps. Ils y croient encore. Ils envisagent de partir, de signer une décharge. Maman, tjrs sous peri, décide de se lever de son lit. Elle donne tout! Ton papa est prêt à tout pour la protéger.
18h la Gyneco insiste, graphique à l’appui, analyse du partogramme sous les yeux, tu sembles de moins en moins bien récupérer aussi. Mais elle a encore besoin de temps pour réaliser, accepter, intégrer. Elle a des flashs de sa première mauvaise expérience, des peurs liées à sa cicatrice. Elle freeze, elle aimerait parler à une psy. Ton papa pleure, de ne pas pouvoir arriver à la protéger, il a peur que le scénario se répète. Lui qui n’avait pu être présent lors de la première opération et la première semaine en neonat en Russie et qui avait vu ta maman sombrer en dépression après.
19h, en quelques minutes, la psy nous aide à trouver les mots juste pour rassurer tes parents: Confiance. Sécurité. Respiration. Collaboration. Transparence. Communication. Maman, au pied du mur, sent qu’il serait en effet plus raisonnable de « plier ». Elle sent qu’ils ont tout essayé et qu’il est temps que tu sortes. On file en salle d’op. On lui explique chaque étape, chaque geste avec douceur et respect. Je me prépare avec ton papa.
20h te voilà petit homme, vaillant Boris. Dans les bras de ton papa, tes parents te contemplent. Quel voyage et quel apaisement. Une expérience tout à fait différente des précédentes et finalement beaucoup mieux vécue. Tu es enfin là, tout s’est bien passé!Tout le monde est soulagé. Bravo à tes parents pour leur persévérance, à ta maman pour sa détermination hors pair et ton papa pour son rôle de gardien qu’il a si bien tenu. Pas facile de lâcher et de faire confiance mais une expérience n’est pas l’autre. Cette naissance vient presque « réparer » les autres.
Belle intégration et bon vent à tous les 5!